3^ème histoire. (12 à 16 ans). Auteur: Amaia Goñi Vega

Allons-y, les atomes

Je porte un manteau d'invisibilité, mais personne ne le sait. Quoique, bon, il ne s'agit pas exactement d'un manteau, plutôt d'un gilet. Eh oui, je réaffirme: il me rend invisible. Il est rouge. On lit dessus "Croix Rouge".

Durant les jours pendant lesquels j'ai collaboré volontairement avec l'association, j'ai pu vérifier que ledit gilet me rend imperceptible au reste des passants pressés, qui essaient de m'éviter de manière visuelle et physique. "Ne le fixe pas", paraissent-ils penser "autrement  il viendra te contacter".

La tirelire que je détiens a aussi des pouvoirs invisibles, bien plus efficaces quand il s'agit d'espaces réduits. Le tout fait que, en revêtant l'habit de la solidarité, il me soit physiquement impossible de heurter des êtres vivants, même en le recherchant exprès.

Profitant de ces moments d'invisibilité, je révise des leçons apprises à l'université, et j'en conclus que je suis comme le proton auquel les électrons entourent à une vitesse vertigineuse, celui-là même contre lequel, un heurtement aurait des conséquences catastrophiques et indésirables, ou du moins c'est ce qu'ils doivent penser.

C'est pour cela que la semaine dernière, la veille de ma dernière journée de volontariat dans l'association en distribuant des pamphlets informatifs, je me sentais un peu affligée; déçue avec moi-même pour ne pas avoir pu aider comme il aurait été mon souhait et triste parce que cette expérience allait bientôt finir. Abattue, je me suis assise dans un banc de la place que j'avais régenté pendant tous ces matins et je rangeai les pamphlets que, pensai-je , n'allaient jamais être distribués.

Soudain, un homme à la peau obscure s'est pressé vers moi, déterminé. Ses haillons et ses chaussures usées étaient choquantes, mais je ne permettrai plus que cela devienne un nouveau manteau d'invisibilité, pas pour moi du moins.

-Tu travailles pour la Croix Rouge, n'est-ce pas?- m'a-t-il demandé avec une prononciation maladroite mais enviable.

-Oui…- j'ai marmotté étonnée et expectante.

-J'aimerai collaborer dans mon temps libre ou en apportant un peu d'argent, bien que je n'aie que justement pour manger. Je crois que je pourrai malgré tout faire un effort; votre travail à Haïti, mon pays, après le tremblement de terre a été admirable… Je peux au moins t'aider à distribuer ces pamphlets?

J'étais pétrifiée. En ce moment, j'ai compris que ce sont ceux qui ont le moins qui désirent le plus aider, entre des larmes et des sanglots qui marquaient ma petite et visible victoire; entre des émotions et des joies qui symbolisaient l'union démesurée et indivisible de deux protons perdus. Les deux seuls protons perdus, il est vrai, dans la prairie parsemée d'électrons pressés, mais je me sentis pleine d'espoir parce que nous serions de plus en plus nombreux. Allons-y, les atomes. 

Dream